Voyage et handicap : se battre contre les préjugés et la mécanique

Rien n’est simple, et le voyage n’échappe pas à cette règle. C’est peut-être encore plus le cas quand on se déplace avec des jolies roulettes. Je vous propose de découvrir les galères de fauteuil roulant que j’ai eues avant même de partir aux États-Unis. Et encore plus dommageable que des problèmes techniques, c’est de préjugés dont il est ici question. 

Le constat

Mon fauteuil roulant n’a pas assez d’autonomie pour faire de longues distances. Ses batteries ne sont pas assez puissantes. Il fallait trouver une solution car il était hors de question que je ne puisse bouger que 4h par jour. Ça me donnait droit à des demi-journées. Bouger le matin et être bloquée l’aprem ? L’inverse ? Ce n’était pas possible. C’était ridicule. Ce n’était pas ma manière de voyager. Ce n’était pas moi.

Quand le moyen de te mouvoir devient un frein à ta mobilité. Un comble.

Trouver une solution a été long, stressant voire épuisant. J’ai passé des journées entières à me creuser les méninges, à téléphoner à droite à gauche, à fouiner sur le net, cherchant des stratagèmes. Comment prolonger l’autonomie du fauteuil ? Rajouter une batterie ? Laquelle ? Où ? Comment ? Et les branchements ? Les contrôles de sécurité à l’aéroport ne vont peut-être pas aimer ce bricolage… Risque que ça détériore le fauteuil ? Zut. Retour à la case départ.

Fauteuil roulant Bora - batterie
Réflexion sur l’installation d’une troisième batterie…

Bon, si je ne peux pas prendre le mien, il faut que je trouve un autre fauteuil. Le louer sur place ? Risque que le modèle ne me convienne pas (confort, maniement, accroches pour ma valise, et accessoirement le coût de la location s’élevait à 500$…) Ça voulait aussi dire que je laissais mon fauteuil personnel pendant trois semaines à des business men loueurs de fauteuils roulants. Car oui le milieu du handicap est un business. N’en doutez pas.

Le coup de grâce

Louer un fauteuil en France semblait alors ma meilleure chance de pouvoir voyager sereinement. J’ai donc repris contact avec celui qui m’a vendu mes premiers fauteuils roulants. J’avais 9 ans quand je l’ai rencontré. Ça faisait une paye, mais j’avais confiance en lui. Je lui ai tout expliqué et il a compris. Il m’avait dit oui. Il allait me trouver un fauteuil qui allait me correspondre. Je pourrais l’essayer avant de partir et tout irait bien. Pfiouuu je respirais à nouveau ! Je pouvais maintenant me concentrer sur la vraie préparation de mon voyage : itinéraire, réservations, etc…
Et puis, il avait finalement dit non. Il faisait marche arrière. En quelques secondes, mon moral était en chute libre.  Trop dangereux, disait-il. Et s’il était abîmé dans la soute de l’avion ? Et s’il tombait en panne là-bas ? J’écoutais ses craintes. J’étais perdue. Je sombrais dans l’angoisse de « Il faut que je trouve une solution. Vite. Le départ approche. » Je lui en ai voulu de m’avoir fait ce faux espoir, lui, en qui j’avais confiance. Mais la situation s’empira quand j’ai cherché à comprendre son raisonnement. J’avais maintenant droit à un interrogatoire en bonne et due forme :

« Tu pars vraiment seule ? Tu n’as personne pour t’accompagner ? Un voyage organisé ? Un groupe d’handicapés à rejoindre ? Il doit y avoir des associations d’handicapés là-bas, tu devrais les contacter… Tu peux te faire rembourser ton billet d’avion ? »

Là, j’ai vu rouge. Est-ce que j’avais vraiment besoin de me justifier ? Il connaissait ma situation. Il savait que mon fauteuil roulant était LE point qui me posait problème. Et il était là à me prendre pour une idiote… Au secours. Cette discussion s’éternisait. En lui répétant que je ne voulais pas prendre le risque de tomber en panne là-bas, seule au milieu de nulle part (en plein désert ou entourée d’ours, par exemple), il m’a achevée :

« Ah bah ça fait partie de l’aventure hein !! »

Et il a ri. Il était là, à glousser en face de moi en me sortant un truc pareil. J’étais sur le cul. Scotchée. Dégoûtée. Je sentais la colère monter en moi, mes joues devenir rouges, le ton de ma voix était monté d’un cran. Il n’avait décidément rien compris. Je suis partie.

Je n’étais donc qu’une idiote complètement imprudente en quête d’aventure. Et si je voulais de l’aventure, j’allais en avoir et il fallait que je paie le prix fort pour ça, quitte à mettre ma sécurité en jeu ! Comme si j’avais une leçon à prendre. Qu’il fallait que quelque chose m’éclate au visage pour qu’enfin je devienne la jeune handicapée qu’il s’imagine que je devais être. Que je me trouve un accompagnateur de voyage, ou un groupe, ou peut-être mieux encore : que je reste chez moi. Ça m’éviterait bien des tracas.

La morale de l’histoire (s’il y en a une)

Il faut toujours écouter son for intérieur et tout faire pour vivre ce qui nous anime, ce qui nous rend vivant. Il y aura toujours un abruti quelqu’un pour semer le doute, juger, et projeter ses peurs sur les autres. C’est fatigant, déstabilisant, et parfois douloureux, mais ce genre de rencontres a au moins le mérite de forger le caractère et de savoir réellement ce que l’on veut.

Vous voulez savoir si je suis finalement partie aux États-Unis ? Bien sûr, et c’est sans conteste l’un des plus beaux voyages que j’ai fait jusqu’à présent. J’aurais eu tort de m’en priver à cause des préjugés de ce Monsieur, ou parce qu’il avait fait le choix de ne plus m’aider… J’ai d’ailleurs loué un fauteuil roulant à l’un de ses confrères, qui lui, a réellement été à mon écoute. Bon, le fauteuil est tombé en panne là-bas, mais ça, c’est une autre histoire…

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5 commentaire(s)
  1. François09/12/2014

    Même si dans ton cas cela a surement été plus dur, ne t'inquiète pas, ce genre de Monsieur (ou de Madame) existent par millier et ne font que projeter leurs peurs et leurs frustrations. L'écouter n'a aucun sens, nous sommes tous capables d'avoir un raisonnement similaire au sien, mais si nous ne l'avons pas fait, c'est que nous avons fait abstractions de certains éléments pour en mettre d'autres en avant dans notre réflexion (ce que lui n'a pas fait). C'est la raison pour laquelle il y a des voyageurs d'un côté et des sédentaires qui ne sortent jamais de leur pays (voire région) de leur vie. Chacun est heureux avec son choix (enfin... idéalement !) et c'est ce qui est le plus important. Si j'avais du écouter tous les conseils reçus depuis ma tendre enfance, aujourd'hui je serais sûrement à l'asile. Quoique certains diront que c'est sans doute ma place. ;)

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    1. Audrey17/12/2014

      Merci François pour ton message ! Je savais que je n'étais pas la seule dans ce cas, mais le lire, c'est encore mieux ;) En effet, les gens projettent leurs peurs sur les autres. C'est humain et je ne prétends pas être à l'abris de ce genre de situation, où, à mon tour, un jour, face à quelque chose d'inconnu, je projetterai mes craintes "pour le bien de l'autre". Tu penses bien que j'y ai droit encore parfois avec mes proches ;) Mais là, j'ai trouvé que les réflexions de cette personne allaient trop loin, et qu'elles étaient blessantes en plus d'être stupides. Enfin, ce n'est certainement pas la dernière personne que je rencontrerai quelqu'un de ce type ;) Restons positif ! Ou bien construisons un asile collectif de rêveurs !

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  2. Aurélie21/04/2015

    Et ben, quelle histoire... Je suis scotchée. Littéralement. Je trouve ça dingue que cette personne se soit permise de te juger (car finalement, c'était bien ce qu'il faisait...). Bravo pour avoir réussi à lui tenir tête, et surtout pour être partie "quand même". Et du coup, comment as-tu fait pour l'autonomie du fauteuil ? Le fauteuil que tu as loué aux USA avec une plus grosse batterie que le tien ?

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    1. Audrey22/04/2015

      Merci Aurélie ! Je te garantie qu'il m'a bien scotchée aussi sur le moment ! J'ai donc loué un fauteuil roulant électrique en France, et je l'ai embarqué aux USA pour le voyage. Il avait en effet des batteries plus performantes. Si une pièce dans un moteur ne m'avait pas lâché, ça aurait été parfait ! :)

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  3. mickael21/06/2015

    si tu veux un accompagnateur, sa me tente! ps: je suis égalment en fauteuil

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