C’est jeudi soir et je suis à la Gare Saint-Sauveur, à Lille. Je regarde les gens autour de moi qui s’animent, se retrouvent et rient (très) fort. Moi, je ne connais personne ici. Je suis juste de passage. Alors j’observe, je m’installe près de la régie. Les techniciens terminent leur réglage, un premier DJ monte sur scène et envoi le son. Le téléphone dans une main, j’attends. J’attends qu’il me fasse un signe. Aux premières vibrations, je me précipite dehors, loin du capharnaüm. Il me propose de le rejoindre. Il va boire un verre avec des amis. On n’a pas encore fixé de point de rendez-vous que je laisse déjà la Gare Saint-Sauveur loin derrière moi. Lui, je ne le connaissais pas 48h auparavant. C’est juste un bel inconnu placé sur ma route avec qui j’ai pris plaisir à discuter. Et pourtant, à force de le croiser au hasard des rues, c’est devenu l’un des rares visages familiers que j’avais ici.
Je les retrouve, lui et son skate-board. Je l’invite à s’accrocher à mon fauteuil et on part. Je ne sais pas lequel de nous deux s’amuse le plus, mais elle me plait cette drôle de déambulation. Notre duo atypique ne passe pas inaperçu. C’est peut-être juste parce qu’on rit un peu trop fort, nous aussi. Le skate-board a beau se planter dans quelques pavés, lui, il n’est pas tombé une seule fois. Arrivée au bar, je rencontre ses amis, m’installe, et une première tournée est commandée. À peine le temps de boire une gorgée qu’un problème de taille pointe le bout de son nez : mon fauteuil roulant s’est bloqué. Il était pourtant allumé mais d’un coup d’un seul, la manette s’est éteinte. Le symbole d’une clé clignote rouge et aucun bouton ne fonctionne. Ce fauteuil, ce n’est pas le mien. Endommagé lors de mon vol au retour d’Hong-Kong, mon bolide est toujours en stand-by. Ici, je comprends vite que c’est la manette qui est bloquée, mais je ne sais pas comment y remédier. À ma connaissance, il y a deux possibilités : soit il y a une combinaison de touches à appuyer, soit la manette se verrouille et se déverrouille par un aimant. La seule combinaison de touches que je connais ne fonctionnant pas, j’opte pour la deuxième possibilité. De toute façon, c’était ce qu’il y avait de plus plausible : quelqu’un ayant un aimant dans sa poche a frôlé la télécommande, et paf, ça l’a bloqué. Il est 22h30, je n’ai personne pour me dépanner et je n’ai pas d’aimant sur moi. Je n’ai que mon instinct pour me guider. Mes nouveaux amis restent optimistes. On recharge les batteries en espérant que ça réveille l’engin. Pendant ce temps, on profite de la soirée. Et moi, je croise discrètement les doigts.
Il est minuit. Le bar ferme et le fauteuil n’avance toujours pas. La situation se complique. Heureusement pour moi, cette fois, je ne suis pas seule dans cette galère. En Espagne ou aux États-Unis, chacun de mes gros problèmes de fauteuil m’avait valu des bons moments de stress. Si après-coup j’étais fière de m’être sortie de la panade, sur le moment, j’aurais aimé avoir quelqu’un à mes côtés pour m’épauler.
Aujourd’hui, je suis contente de pouvoir me reposer un peu sur mes acolytes. D’ailleurs eux, ils ne lâchent rien. La soirée se poursuit dans un autre bar et ils m’embarquent avec eux. Malgré tout, je ne peux pas m’empêcher de m’en vouloir de leur faire subir cette galère. De manière générale, devoir s’adapter à mes besoins d’accessibilité est souvent contraignant, alors là, j’en rajoutais une couche et une bonne. C’est environ 230 kg qu’ils doivent pousser sur les pavés de Lille. (Oui, ce fauteuil pèse 170kg).)
Je suis heureuse d’être là. L’ambiance est bonne, problème technique ou pas. Rencontrer de nouvelles personnes rompt avec la monotonie de certains soirs, où la voyageuse en solo aimerait avoir de la compagnie. Et puis, on nous rabâche en permanence que pour découvrir un endroit, il faut être en contact avec les locaux, qu’il faut de l’authentique. Quoi de plus authentique que de discuter autour de bières fraiches avec les gens du Nord ?
Mais la soirée s’est terminée et il a fallu partir. Mon logement se situait à des kilomètres de là. Il n’y avait plus de transport en commun. Mon fauteuil roulant, quant à lui, n’était pas miraculeusement revenu à la vie. Les possibilités étaient infimes. Mon copain skateur me prit sous son aile et proposa de m’accueillir pour la nuit. Sauf que 3 kilomètres nous séparait de son chez lui. 3 kilomètres à pousser 230 kg, seul, sur les pavés en pente. Si à l’aller nos rires résonnaient dans les rues, là ce n’était plus le cas. Assise sur mon fauteuil roulant, impuissante, je culpabilisais de lui faire endurer ça… Ce n’était pas un petit challenge, mais un effort physique considérable. Un truc de titan. Et les roues qui se bloquent dans les pavés n’arrangeaient rien. Ni les trottoirs en pente où j’avais peur de tomber. À force, il souffrait de me pousser. Je me dis qu’il a dû regretter de m’avoir invitée… Quant à moi, je m’enfonçais dans mon fauteuil, sous ma grosse veste d’hiver, souhaitant me faire la plus petite possible. Si je n’étais pas en mesure de me lever et de pousser mon fauteuil avec lui, je pouvais bien au moins tenter de l’aider comme je pouvais. Alors j’arrêtais les quelques passants noctambules qui allaient dans notre direction. Je les interrogeais : ne serait-ce que pour quelques mètres, pouvaient-ils me pousser un peu ? Personne n’a refusé. Ils ont tous compati et ils restaient impressionnés face au long trajet qu’il nous restait à parcourir…
Le lendemain, mon fauteuil fut débloqué en passant un aimant de réfrigérateur sur la télécommande… Ma théorie étaient donc la bonne. Quelques heures plus tard, je retrouvais un couple d’amis pour déjeuner. Rencontrés en Thaïlande sur un « Salut, c’est pas toi qui as un blog de voyage en fauteuil roulant ? » ils étaient là eux aussi et j’étais heureuse de les retrouver. Sauf que. À la fin du repas, je sens mon fauteuil basculer comme un rocking chair. Un coup d’oeil à l’arrière suffira pour constater qu’une roue était à plat. Impossible de rouler… Eh hop ! C’était reparti pour un tour…
Bravo aux lillois et surtout à tous ceux qui vous ont aidée. Et bravo à vous, Audrey, de continuer vos voyages malgré ce fauteuil de remplacement. Ne serait-il pas possible de planquer quelque part sur le fauteuil (loin de la télécommande) un aimant de cuisine? Pour la prochaine fois? Bonne continuation.
Merci Rosalind pour ce message :) Excellente idée de garder un aimant dans les parages, juste au cas où... Bonne continuation à vous aussi !
Coucou miss , et bravo pour ce blog , plein d humour , de générosité , tu a la pêche ets redonne certainement la force et l envie de voyager à beaucoup de personnes qui ont perdu la volonté de se battre face à leur handicap .... Je ne suis pas handicapé , même si suite à une opération je suis un peu bancale au niveau d un tibia , ça va certainement s arranger un jour .... Je viens vers toi car je vis en Guadeloupe je je souhaiterai ouvrir des gîtes afin de faire découvrir mon îles a des personnes à mobilité réduite , j aimerai avoir ton avis , savoir se qui " manques " lors de tes voyages , au niveau de l hebergement , au niveaux des loisirs , je souhaite équiper les bungalows bien entendus , avoir une piscine adaptée , un fauteuil spécialisée qui permet d avoir accès à la plage et à la mer , organiser des dîner sur la plage , des excursions , avec l aide de partenaires qui sont sensibles comme moi au manques de structure adaptés aux pmr . Merci de me donner ton avis , des idées :))) bizzzzzzz
Bonjour Chrystelle :) Merci pour ton message ! Concernant ton projet de logement de vacances adaptés, je ne peux que t'encourager ! D'autant plus que tu as compris les autres enjeux tels que les loisirs, excursions etc... Fonces ! Et tiens moi au courant :)