le silence de la souffrance

J’ai horreur des extrêmes. Il en va de même quand il est question de différence, de handicap. Je n’aime pas que l’on dresse des portraits héroïques et trop élogieux de personnes handicapées, sans nuance ou sans ancrage dans le réel. Comme s’il n’y avait que le dépassement de soi et de son handicap qui comptaient vraiment et qui méritaient d’être mis en avant. À quand des histoires ordinaires de personnes handicapées qui vivent une vie absolument banale ? Quand est-ce que le talent et les idées brillantes seront mis en avant pour ce qu’elles sont, et non pas parce qu’il y a un handicap qui rentre dans l’équation et qui prend le dessus ? Loin de moi l’idée de cacher cette différence et encore moins de la rendre tabou. Seulement, à nous mettre dans la case « extra- ordinaire » à tout bout de champ à cause de notre différence uniquement, nous sommes encore une fois mis à part de la société. Tchao bye l’inclusion à coup de bons sentiments !

De la même manière, je n’aime pas plus les portraits complètement défaitistes de personnes handicapées. Ceux qui ne cherchent qu’à susciter de la pitié et à vous faire verser une larme. Attention, je ne souhaite pas minimiser la souffrance qu’éprouvent certaines personnes. J’ai moi- même mal en permanence, à des degrés allant de « tiens, j’ai presque pas mal » à des phases de douleurs intenses où mon moral plonge profondément, comme un fou de bassan dans l’océan (sauf que lui, il remonte vite à la surface). J’ose espérer que la joie et l’amour viennent ensoleiller la vie des personnes souffrantes, ne serait-ce que de temps en temps. Tout comme j’imagine que les handi rock stars se prennent aussi des claques par moment. Un truc d’être humain quoi.

J’aime la douceur et le réalisme de la nuance. Redonnons-lui sa place.

Pourtant, en écrivant ses lignes, j’ai conscience d’avoir pu être de celles qui cherchent en priorité à montrer le côté brillant et pailleté, celui qui dit que voyager en fauteuil roulant est non seulement possible mais en plus génial et épanouissant. Je le pense toujours, là n’est pas la question. Dans les moments difficiles que j’ai partagés avec vous, il était surtout question de technicité (exemple : fauteuil roulant cassé) ou d’état d’âme (exemple : les préjugés). Je vous ai rarement parlé de mon corps. Quelquefois, j’ai évoqué des douleurs au dos liées à des terrains escarpés ou encore des pavés. Mais il ne me semble pas m’être jamais étendue sur le sujet. Quand il est question du corps, la pudeur prend de la place.

Le silence de la souffrance du à un handicap.
Photo prise par ©Monsieur et Madame Shoes

Depuis toute petite, j’ai pris l’habitude de rarement me plaindre. Ou pour être plus exacte, rarement me plaindre des souffrances que m’inflige mon corps. J’imagine que j’ai parfois dû être pénible à me plaindre de ne pas avoir un énième goûter ou de ne pas pouvoir jouer avec les voisines quand moi je l’avais décidé. Pour ce qui est de mon corps, le schéma est le suivant : me plaindre ne me fera pas moins souffrir et me plaindre inquiétera mon entourage, alors à quoi bon ? Je préférais protéger les miens et les mettre à l’abri de ce terrible sentiment d’impuissance. Je me protégeais moi-même par la même occasion en me concentrant sur le positif, quitte à me voiler un peu la face sur la réalité. Tenir le cap et ne pas sombrer est alors plus facile.

Le silence de la souffrance.

Ce schéma – cette parade – est bien inscrit en moi. Trop bien inscrit. J’ai commencé à comprendre il n’y a pas si longtemps que me taire pouvait me desservir. Ne pas dire ce que je ressentais, ce que je vivais, pouvait créer de l’incompréhension voire fausser la relation. Quand le corps fait mal ou que la fatigue prend le dessus, vous n’êtes pas au meilleur de vos capacités et ça se ressent. Ceux qui vous connaissent ne sont pas dupes et sentent que quelque chose cloche. Ceux qui ne vous connaissent pas vraiment peuvent se faire une fausse opinion de vous et mal juger la situation.

Cela m’est arrivé pendant mes études. En prépa il y a une période, même plusieurs périodes durant l’année, où je souffrais beaucoup et où il m’était difficile de suivre le rythme. Une de mes profs a alors cru que je me la coulais douce, que je ne faisais pas beaucoup d’efforts.
Pourtant, je faisais tout -et même trop- pour donner le meilleur de moi-même. C’était alors un deuxième coup qui m’était porté : je souffrais, je me donnais beaucoup de mal pour que rien ne transparaisse et en plus je passais pour une tire-au-flanc. L’injustice me paraissait grande. Mais il faut dire que je cachais bien mon jeu, exhibant un sourire à toute épreuve et taisant ce qui m’habitait vraiment. Qu’il est dur d’afficher et d’assumer ses faiblesses. Peut-être même encore plus dur quand votre réalité est déjà faite de faiblesses aussi visibles qu’un fauteuil roulant, qu’un boitement, qu’une difficulté à prendre des notes. Comme si ce n’était pas suffisant.

Aujourd’hui encore, je n’étale pas mes souffrances. Je vous parlais de la prépa comme d’un lointain souvenir (il y a 10 ans !) mais ce bon vieux schéma du silence de la souffrance, il s’est répété il y a quelques semaines encore. Il est même toujours d’actualité vu que je n’ai parlé de ma dernière tuile qu’à très peu de personnes.

Déconstruire ce schéma va m’occuper quelques années encore, je sens… Je ne suis pas certaine de renverser complètement la tendance un jour, ni même de le vouloir. Je reste cette personne qui recherche le positif avant tout. Mais j’aspire à plus de vérité, avec moi-même d’abord et aussi avec les autres.

Et vous, quel est votre rapport à la douleur ? Est-ce que vous avez fait le choix de vous taire ou est-ce qu’en parler est salvateur ?

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7 commentaire(s)
  1. Asdrubal Nicolas22/11/2019

    Bonsoir oui je vous depuis que vous avez été mis en valeur par tryo Oui alors moi valide je ne plein pas souvent mais le « mal à dit » il y a toujours une raison Je vais voir l’ostéopathe deux fois par an. Et pour la première elle a percé le problème Oui les sentiments que j’ai du mal à exprimer se rétracte dans mon corps Alors oui il ne faut pas tt le temps gérer ce que l’on sur soi ou en-soi Courage et à bientôt

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  2. Cora22/11/2019

    Hello, J ai lu tes quelques lignes avec grand intérêt. Tes mots sont tout simplement justes et bien posés. Personne ne peut comprendre les douleurs, ressentis, émotions des autres, je pense que nous pouvons juste écouter, entendre et prendre en considération. Je n aime, moi même, pas dévoiler mes douleurs, chagrins profonds... Pour quelques raisons et si tu le souhaites nous pouvons en discuter. Personnes valides ou non, je pense que fondamentalement qu avant tout nous sommes des êtres humains et nous devons nous respecter car personne ne le fera à notre place. Soit forte et continue ton rêve. Bien à toi

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  3. PAPIN Patrice22/11/2019

    Bonjour Audrey, c'est avec un réel plaisir que je t'ai lu. Je suis moi même atteind d'une CMT extrêmement rare du nom barbare et scientifique de CMTD1B avec Mutation de la  dynamine  2 pro 789 Ala + Myopathie centronucléaire. Cela va bientôt faire 4 ans que je vis avec. Et oui pour moi je la considère comme une deuxième personne qui vie en moi !!! Les douleurs sont permanentes, je suis en fauteuil électrique en extérieur et manuel ou cannes anglaise en intérieur, mais j'ai réussi à garder mon autonomie car j'ai fait adapté mon véhicule. Je ne me considère pas comme malheureux et parlé très peu de ma maladie neuro-dégénérative et à l'évolution un peu trop rapide à mon goût. J'aime la vie et les gens, je suis même en ce moment entrain d'apprendre la langue des signes française. J'apprends à vivre avec cette CMT et aimerais rencontrer, partager avec de belles personnes qui comme vous. Voilà ce que je peux dire pour l'instant. Patrice         

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  4. Joelle Giraudo22/11/2019

    Bonsoir j'ai une grande admiration pour vôtre ténacité envers la vie j'ai eu une polio à l'âge de 6 mois j'ai été une battente toute ma vie 60 ans de mon existence je me bas toujours car cela nous permet d'avancer moi aussi j'ai toujours caché mes souffrance physique mon mari se rend compte très vite de mes souffrances car il me dis que mon visage porté ma douleur mais autour de moi j'ai découvert au fil des années que personnes ne veux voir ou savoir même des proches car cela les met mal à l'aise, souvent nous sommes seul face à la douleur moi je fais des séances d'ostéopathie et cela m'aide beaucoup soyons forte et continuons à nous battre gros bisous Joëlle

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  5. JEANNOT23/11/2019

    Une analyse effectivement bien différente de "l'habituel" qui permet de méditer à toutes les facettes du handicap et de l'être vivant tout simplement. Merci

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  6. Olivier Loncin23/11/2019

    J'aime beaucoup ton billet. J'ai également appris à gérer en toute discrétion mes douleurs. Et comme tu le décris, ça fausse les échanges que j'ai pu avoir avec mon entourage (familial, amical, professionnel). Par rapport à mon handicap, j'ai été soutenu et encouragé dans la culture de l'effort. Les gains positifs que j'ai pu engranger au fil de ma vie se sont toujours payés au prix d'innombrables séances de kiné, de séances d'entraînement personnel, etc. qui toutes s'accompagnaient de leurs lots de douleurs. Au fil du temps, c'est presque comme si avoir mal était bon signe. Depuis quelques années, j'ai aussi essayé de détricoter cette construction mentale. Mais c'est un travail long et totalement non rectiligne. Il me semble néanmoins particulièrement salutaire.

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  7. libany martine28/11/2019

    Merci Audrey de faire si bien comprendre ce que nous ressentons. Nos sourires cachent tellement de choses. Le Fou de Bassan que je suis en ce moment t'embrasse très fort Martine

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